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Juridiction Unifiée Du Brevet : Première Décision Sur la Contrefaçon par Équivalence

En Bref

Le contexte : La contrefaçon par équivalence est un principe fondamental du droit des brevets, qui permet de concilier la protection équitable devant être accordée aux inventions et la sécurité juridique des tiers. Toutefois, comme la plupart des lois en matière de brevets d’invention, l’Accord relatif à une Juridiction Unifiée du Brevet (AJUB) ne contient aucune disposition sur la contrefaçon par équivalence.

Le résultat : Avec sa décision rendue le 22 novembre 2024 dans l’affaire Plant-e Knowledge B.V. & Plant-e B.V. c. Arkyne Technologies S.L. (Bioo), la division locale de La Haye de la Juridiction Unifiée du Brevet a, pour la première fois, abordé cette notion et donné son avis sur la manière de l’appliquer, créant ainsi un premier précédent.

Aller plus loin : Que la Cour d’appel de la JUB confirme ou non cette décision, celle-ci offre une première méthode pour apprécier les risques de contrefaçon par équivalence en première instance devant la JUB.

La contrefaçon par équivalence est un principe fondamental du droit des brevets, qui permet de concilier la protection équitable devant être accordée aux inventions et la sécurité juridique des tiers.

 

En vertu de cette doctrine, un produit/procédé argué de contrefaçon peut contrefaire un brevet si, même en l’absence de contrefaçon littérale, il est jugé « équivalent » à l’objet revendiqué. Cela permet notamment d’éviter que le brevet puisse être contourné par des modifications mineures.

 

Bien que l’article 2 du protocole relatif à l’interprétation de l’article 69 de la Convention sur le brevet européen (CBE) indique clairement que les équivalents doivent être pris en considération lors de l’appréciation de la portée de la protection, l’Accord relatif à une Juridiction Unifiée du Brevet (AJUB) ne contient aucune disposition sur la contrefaçon par équivalence – comme la plupart des autres législations européennes en matière de brevets d’invention.

 

Dans la première décision traitant de la contrefaçon par équivalence, rendue le 22 novembre 2024 dans une affaire opposant Plant-e Knowledge B.V. & Plant-e B.V. à Arkyne Technologies S.L. (Bioo) au sujet de la technologie des biopiles (ou piles microbiennes ; en anglais, « Microbial fuel cells », abrégé en MFC), la division locale de La Haye de la Juridiction Unifiée du Brevet a désormais donné son avis sur la manière d’apprécier si un brevet est contrefait par équivalence.

 

En appliquant le test « néerlandais » en quatre étapes, cette décision offre un certain équilibre entre appréciation technique, équité et sécurité juridique.

 

L’affaire : historique et contexte technique

 

Le brevet EP 2 137 782, détenu par la société Plant-e, revendique une invention liée aux biopiles végétales (en anglais, Plant-Microbial fuel cells ou P-MFC), une technologie qui utilise des plantes vivantes pour produire de l’électricité par photosynthèse et oxydation microbienne.

 

Le procédé revendiqué par ce brevet comprend :

  • une plante vivante dans un réacteur, dont la photosynthèse produit de la matière organique ;
  • un compartiment d’anode avec des microorganismes anodophiliques qui oxydent cette matière organique ;
  • un compartiment de cathode, permettant aux électrons de circuler et de générer de l’électricité.

Plant-e prétendait que les produits de Bioo, y compris le « Bioo Panel » et le « Bioo Bench », contrefaisaient ce brevet, soit littéralement, soit par équivalence. Bioo opposait notamment des arguments d’absence de contrefaçon, en faisant valoir que ses dispositifs fonctionnaient à partir du sol et ne nécessitaient pas de plante vivante pour fonctionner, comme l’exigeait le libellé littéral de la revendication.

 

La division locale de La Haye a estimé que bien que la contrefaçon littérale n’était pas établie, les produits de Bioo contrefaisaient le brevet par équivalence.

 

La division locale de La Haye a d’abord adopté une approche en deux étapes pour déterminer la nécessité d’apprécier la contrefaçon par équivalence :

  1. Contrefaçon littérale : le produit ou le procédé argué de contrefaçon contient-il tous les éléments de la revendication tels qu’ils sont écrits ?
  2. Équivalence : si ce n’est pas le cas, la variante arguée de contrefaçon permet-elle d’obtenir le même résultat, de manière substantiellement identique, en remplissant la fonction de l’invention telle qu’elle est comprise par l'homme du métier ?

Une méthode d’appréciation de l’équivalence en quatre étapes

 

Dans sa décision, la division locale de La Haye examine l’équivalence en quatre étapes :

 

  1. Équivalence technique : La variante remplit-elle la même fonction et résout-elle le même problème ?

    En l’espèce, la Cour a estimé que les dispositifs de Bioo, bien que décrits comme des biopiles à base de sol, remplissaient la même fonction que la biopile végétale à base de plantes brevetée : produire de l’électricité en utilisant l’oxydation microbienne de la matière organique. Les plantes, bien que considérées par Bioo comme « optionnelles » dans ses produits, contribuent au processus en réapprovisionnant la matière organique, ce qui est techniquement équivalent à l’invention revendiquée.

  2. Protection équitable pour le breveté : L’extension du champ d’application du brevet pour couvrir l’équivalent est-elle justifiée ?

    L’approche adoptée par la division locale de La Haye est qu’un juste équilibre doit être atteint entre la nécessité d’éviter un contournement des brevets par des modifications mineures alors même que le cœur de l’invention est reproduit, et le fait d’éviter une interprétation trop large et généreuse.
    En l’espèce, la Cour a estimé qu’il était justifié d'interpréter la portée du brevet comme couvrant les produits de Bioo, puisque (i) l’invention de Plant-e avait contribué de manière significative à l’état de la technique et (ii) le fonctionnement des produits argués de contrefaçon reposait clairement sur les principes de l’invention brevetée.

  3. Sécurité juridique raisonnable pour les tiers : Un homme du métier comprendrait-il que le produit ou procédé équivalent est couvert par le brevet ?

    En d’autres termes, l’homme du métier doit lire dans le libellé littéral des revendications du brevet qu’il existe une marge supplémentaire dans laquelle les équivalents peuvent être considérés comme inclus, en particulier lorsqu’il n’y a aucune raison de justifier de limiter l’étendue de la protection de la revendication.
    En l’espèce, le tribunal a noté que les communications de Bioo sur sa technologie, y compris les demandes de subventions, mettaient l’accent sur le rôle des plantes, ce qui correspondait aux revendications brevetées. Un homme du métier aurait donc raisonnablement déduit que la technologie arguée de contrefaçon relevait du champ d’application du brevet.

  4. Nouveauté et activité inventive : L’équivalent est-il nouveau et inventif par rapport à l’état de la technique ?
    Ce quatrième critère correspond aux défenses Formstein ou Gillette, qui prévoient qu’il ne peut y avoir de contrefaçon si un produit ou un procédé argué de contrefaçon, tout en étant couvert par une revendication de brevet (dont la validité a par hypothèse été reconnue), était connu ou évident par rapport à l’art antérieur (c’est-à-dire en d’autres termes, qu’il ne peut y avoir de contrefaçon à reproduire l’art antérieur).
    En l’espèce, la Cour a estimé que la combinaison de la photosynthèse végétale et des biopiles dans les produits argués de contrefaçon était nouvelle et inventive, et qu’elle ne revenait donc pas simplement à reproduire l’art antérieur.

Analyse comparative avec la jurisprudence des juridictions nationales de l’UE

 

Le test d’équivalence en quatre étapes de la division locale de La Haye est identique au test « néerlandais » appliqué par la Cour d’appel de La Haye dans sa décision du 27 octobre 2020 relative au pemetrexed (Eli Lily c. Fresenius Kabi).

Bien que – comme la division locale l’a elle-même fait remarquer – elle a entendu emprunter à la jurisprudence de plusieurs juridictions européennes, ce test n’assure pas encore une harmonisation claire entre les différents tests d’équivalence européens :

 

  • En Allemagne, un test en trois étapes connu sous le nom de questions Schneidmesser examine l’équivalence technique, l’évidence et
    l’interchangeabilité ;
  • En France, les tribunaux ont historiquement adopté un point de vue pragmatique, mettant l’accent sur la fonction de l’invention plutôt que sur la formulation stricte des revendications, et ignorant tout test d’évidence : deux moyens sont équivalents lorsque, bien que différents dans leur forme, ils remplissent la même fonction (nouvelle), en vue d’atteindre un résultat de même nature, voire de même degré ;
  • En Italie, les tribunaux ont souvent utilisé soit le test dit de la triple identité ou test FWR (fonction, manière, résultat, en anglais function, way, result) tiré de la jurisprudence américaine, soit, ces dernières années, un test d’évidence, qui correspond aux première et troisième étapes du test « néerlandais » ;
  • Au Royaume-Uni, l’approche, en particulier après l’affaire Actavis c. Eli Lilly, met l’accent sur l’interprétation intentionnelle des revendications, en se concentrant sur l’intention du titulaire du brevet et la compréhension de l’homme du métier.

Détails techniques : Pourquoi les dispositifs de Bioo étaient équivalents

 

Une analyse technique plus approfondie est nécessaire pour illustrer les raisons pour lesquelles la division locale de La Haye a conclu à l’équivalence dans cette affaire :

 

  • Tout d’abord, la défenderesse Bioo prétendait que les plantes de ses dispositifs étaient purement décoratives ou facultatives. Toutefois, le tribunal a examiné la documentation de Bioo en matières de demandes de subventions, son matériel promotionnel et la configuration de ses produits, qui soulignaient tous le rôle des plantes dans la production de matières organiques pour l’oxydation microbienne.
  • Deuxièmement, le tribunal a constaté que les produits argués de contrefaçon avaient la même structure et la même fonction : alors que les produits de Bioo incorporaient une structure à double couche (avec le sol comme médiateur), la configuration fonctionnelle reflétait la biopile végétale à base de plantes revendiquée. La matière organique était toujours oxydée dans le compartiment d’anode, la cathode permettant le flux d’électrons.
  • Enfin, les preuves apportées par Bioo, comparant ses produits avec et sans plantes, ont été jugées insuffisantes. La Cour a noté que des expériences à court terme ne pouvaient pas rendre compte du rôle à long terme des plantes dans la reconstitution de la matière organique, ce qui a renforcé l’équivalence technique.

Le raisonnement de la division locale de La Haye démontre l’engagement de la JUB en faveur d’une évaluation rigoureuse, preuves à l’appui, de la contrefaçon par équivalence, en tenant compte à la fois des détails techniques et des réalités pratiques. Dans cette affaire, ceci a notamment été rendu possible grâce à l’implication du juge techniquement qualifié (Simon Walker en l’espèce, qui est docteur en physique et qui a notamment effectué des travaux de recherche dans le domaine du bio-électromagnétisme).

 

Implications pour les acteurs de la JUB

 

La décision de la division locale de La Haye a plusieurs implications pour les utilisateurs :

 

  • Pour les titulaires de brevets : Cette décision souligne l’importance de l’anticipation dans la rédaction des revendications. Il est essentiel d’articuler clairement la fonction de l’invention, sa portée et ses équivalents potentiels. Les titulaires doivent anticiper les éventuels contournements de conception et inclure des descriptions suffisantes pour englober les équivalents prévisibles ;
  • Pour les tiers : L’arrêt sert de mise en garde. Les entreprises doivent évaluer non seulement les risques de contrefaçon littérale, mais aussi la possibilité que leurs produits consittuent une contrefaçon par équivalence. Cela suppose une évaluation approfondie de l’état de la technique, de la portée des revendications et du rôle technique de chaque composant de leurs produits ;
  • Pour les praticiens : Le test en quatre étapes fournit un premier cadre pour conseiller les clients, offrant une plus grande sécurité juridique sur les questions d’équivalence.

Tous les regards sont désormais tournés vers la Cour d’appel de la JUB, afin de savoir si elle confirmera cette décision ou si au contraire elle s’en écartera.

En effet, M. Grabinski, président de la Cour d’appel, a clairement indiqué qu’en fin de compte, il reviendra à la Cour d’appel de définir – et harmoniser – la manière dont les concepts juridiques fondamentaux, tels que l’équivalence, doivent être appliqués devant la JUB.

Les Cinq Points Importants à Retenir

  1. Dans l’affaire Plant-e Knowledge B.V. & Plant-e B.V. c. Arkyne Technologies S.L. (Bioo), la division locale de La Haye de la Juridiction Unifiée du Brevet a, pour la première fois, abordé la notion de contrefaçon par équivalence et donné son avis sur la manière de l’appliquer, créant ainsi un premier précédent.
  2. Le test en quatre étapes utilisé par la division locale de La Haye est identique au test « néerlandais » utilisé par la Cour d’appel de La Haye dans sa décision du 27 octobre 2020 sur le pemetrexed (Eli Lily c. Fresenius Kabi) ; il consiste à apprécier : (i) L’équivalence technique ; (ii) La protection équitable du titulaire du brevet ; (iii) La sécurité juridique raisonnable pour les tiers ; (iv) La nouveauté et l’activité inventive.
  3. L’examen technique détaillé des produits argués de contrefaçon réalisé par la division locale illustre l’importance des éléments de preuves, notamment de nature technique, dans les litiges impliquant une discussion sur la contrefaçon par équivalence.
  4. La décision offre une première méthode pour apprécier les risques de contrefaçon par équivalence en première instance devant la JUB.
  5. Tous les regards sont maintenant tournés vers la Cour d’appel de la JUB afin de voir si elle confirmera ou s’écartera de cette décision.