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Le grand public ne peut plus accéder librement aux informations relatives aux bénéficiaires effectifs des sociétés de l'Union Européenne

En bref

Le contexte : la Directive européenne UE 2015/849 20 du 20 mai 2015 dite « 4ème Directive anti-blanchiment » permettait l'accès aux informations relatives aux bénéficiaires effectifs des sociétés ayant leur siège dans l'Union Européenne (UE) par toute personne du grand public démontrant un « intérêt légitime » à un tel accès ; la « 5ème Directive anti-blanchiment » (UE 2018/843) a supprimé le critère de « l'intérêt légitime », permettant un accès inconditionnel à ces informations par le grand public.

L'évolution : Le 22 novembre 2022, la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) a invalidé la possibilité pour le grand public d'accéder sans condition aux informations relatives aux bénéficiaires effectifs des sociétés ayant leur siège dans un Etat membre de l'Union Européenne (UE).

Aller plus loin : pour pouvoir accéder aux informations figurant dans les registres relatifs aux bénéficiaires effectifs des sociétés ayant leur siège dans l'UE, une personne du grand public devra désormais avoir un « intérêt légitime » ; ce dernier résultera vraisemblablement de la participation de cette personne à la prévention et à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

La création des registres sur les bénéficiaires effectifs instaurée par la 4ème directive « anti-blanchiment »

La Directive européenne UE 2015/849 20 du 20 mai 2015 dite « 4ème Directive anti-blanchiment » prévoit la création par les Etats membres d'un registre sur les bénéficiaires effectifs des sociétés et autres entités juridiques constituées sur leur territoire. Le bénéficiaire effectif, dans le cas d'une société, étant défini comme la ou les personnes physiques possédant directement ou indirectement plus de 25 % du capital ou des droits de vote. Chaque Etat membre pouvant réduire ce pourcentage.

Ces informations (identité, nationalité, pays de résidence et étendue des intérêts effectifs détenus) étaient accessibles non seulement aux autorités compétentes, aux cellules de renseignement financier et aux entités assujetties au devoir de vigilance à l'égard de leur clientèle (essentiellement les établissements de crédit et financiers) mais également à toute personne ou organisation pour autant que celle-ci soit capable de démontrer un « intérêt légitime » à accéder à ces informations.

La suppression par la 5ème directive « anti-blanchiment » du critère de l'intérêt légitime pour une personne du grand public

La Directive européenne UE 2018/843 du 30 mai 2018 dite « 5ème Directive anti-blanchiment » a permis au grand public d'accéder sans condition particulière aux informations relatives aux bénéficiaires effectifs, notamment en :

  • justifiant ce droit par le fait qu'il contribue (i) à préserver la confiance dans l'intégrité des transactions commerciales et du système financier (ii) à faciliter les enquêtes sur le blanchiment de capitaux, les infractions sous-jacentes associées et le financement du terrorisme et (iii) à dissuader de recourir abusivement à des entités et constructions juridiques, y compris aux fins d'évasion fiscale ;supprimant le critère de l'intérêt légitime devant jusqu'alors être démontré par toute personne du grand public souhaitant accéder à ces informations.

L'invalidation par la CJUE de l'accès sans condition du grand public aux registres sur les bénéficiaires effectifs

La CJUE, dans un arrêt du 22 novembre 2022 rendu dans les affaires C-32/20 et C-601/20, a invalidé la possibilité pour le grand public d'accéder sans condition particulière au registre des bénéficiaires effectifs pour deux raisons essentielles : la recherche de la transparence ne peut être considérée comme un objectif d'intérêt général et cette possibilité d'accès par le grand public n'est pas proportionnée au but poursuivi par la Directive.

En effet, bien que la CJUE rappelle dans un premier temps que la prévention du blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme constitue bien un « objectif d'intérêt général susceptible de justifier des ingérences » aux droits fondamentaux prévus par la Charte des droits fondamentaux de l'UE (2012/C 326/02) (en l'espèce, article 7 - respect de la vie privée et familiale - et article 8 - protection des données à caractère personnel), elle vient préciser dans un second temps que :

  • « Le principe de transparence » tel qu'il découle du Traité de l'Union Européenne et du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne « ne saurait être considéré, en tant que tel, comme un objectif d'intérêt général susceptible de justifier l'ingérence » en question. La CJUE ajoute à cet égard qu'il ne revient pas au grand public de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, une telle lutte « [incombant] prioritairement aux autorités publiques ainsi qu'aux entités, telles que les établissements de crédit ou les établissements financiers, qui, en raison de leurs activités, se voient imposer des obligations spécifiques en la matière » ; et
  • L'exigence de proportionnalité d'une ingérence ne peut être satisfaite que lorsque cette dernière est limitée au strict nécessaire. La CJUE estime en l'espèce que l'accès du grand public au registre des bénéficiaires effectifs sans avoir à démontrer un intérêt légitime constitue une ingérence disproportionnée. La CJUE sanctionne notamment l'approche de la Commission européenne qui avait justifié la disparition du critère de « l'intérêt légitime » en estimant que c'était un concept difficile à définir juridiquement. Pour la CJUE, « l'existence éventuelle de difficultés pour définir précisément les hypothèses et les conditions dans lesquelles le public peut accéder aux informations sur les bénéficiaires effectifs ne saurait justifier que le législateur de l'Union prévoie l'accès du grand public à ces informations ». La Cour rappelle notamment que la presse et les organisations de la société civile présentant un lien avec la prévention et la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ont un intérêt légitime à accéder aux informations sur les bénéficiaires effectifs, de même que les institutions financières et les autorités impliquées dans la lutte contre ces infractions.

Les trois points important à retenir

  1. La CJUE rappelle par conséquent que la recherche de la transparence ne peut justifier en soi une ingérence dans les droits fondamentaux des personnes physiques et que le critère de proportionnalité n'est pas rempli en permettant au grand public d'accéder aux informations relatives aux bénéficiaires effectifs sans devoir démontrer un « intérêt légitime », une telle faculté représentant « une atteinte considérablement plus grave aux droits fondamentaux garanties aux articles 7 et 8 de la Charte, sans que cette aggravation soit compensée par les bénéfices éventuels qui pourraient [en] résulter […] en ce qui concerne la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ».
  2. Cette décision ne remet cependant pas en cause le droit, en particulier, pour les établissements financiers, d'accéder à ces informations afin de leur permettre de remplir leurs obligations en matière de connaissance des clients et de leurs bénéficiaires effectifs.
  3. Il est à noter que par un communiqué du 23 janvier 2023, le Ministre français de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, a décidé le maintien de l'accès du grand public aux données du registre des bénéficiaires effectifs dans l'attente de tirer toutes les conséquences de l'arrêt de la CJUE.
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