Juridiction Unifiée du Brevet : Plus de Lock-Out du Fait de Litiges Nationaux Engagés Avant la Période Transitoire
En Bref Le contexte : Dans une décision rendue le 12 novembre 2024, la Cour d'appel ("CoA") de la Juridiction Unifiée du Brevet ("JUB") a précisé dans quelles circonstances un brevet européen ayant fait l'objet d'un opt-out et d'une procédure judiciaire devant une juridiction nationale peut ensuite faire l’objet d’une action devant la JUB. Le résultat : Les brevets ayant fait l’objet d’un opt-out ne sont pas toujours exclus (locked-out) de la compétence de la JUB lorsqu'ils font ou ont fait l'objet d'une action nationale. Les titulaires de brevets peuvent retirer leur opt-out et engager une action devant la JUB sur la base d'un brevet qui fait ou a fait l'objet d'une action devant une juridiction nationale avant la période transitoire. Seules les actions nationales engagées après le 1er juin 2023 (c'est-à-dire après l'entrée en vigueur de la JUB et le début de la période transitoire) peuvent empêcher un retrait de l’opt-out, ce que l'on appelle aussi souvent le « lock-out ». Aller plus loin : Les titulaires de brevets qui pensaient, en application de la jurisprudence existante des divisions locales de la JUB, que leur brevet était exclu (locked-out) de la compétence de la JUB en raison d'un litige national engagé avant le 1er juin 2023 peuvent maintenant envisager l'engagement d'une action devant la JUB ; les tiers qui pensaient être à l’abri d’actions JUB fondées sur de tels brevets ayant fait l’objet d’un opt-out devraient maintenant surveiller de près les retraits potentiels d’opt-out.
Dans une décision rendue le 12 novembre 2024, la CoA de la JUB estime que, dans certaines circonstances, un brevet européen peut faire l’objet d’une action devant la JUB même s'il a fait l'objet d'un opt-out et qu'il est ou a été l'objet d'une procédure judiciaire devant une juridiction nationale. Cette décision est considérée comme l'une des plus importantes rendues par la JUB à ce jour et a de profondes implications pratiques tant pour les titulaires de brevets que pour les tiers.
Afin de permettre une transition progressive des systèmes nationaux vers le système de la JUB, deux mécanismes sont prévus au cours des sept premières années d'existence de la JUB, la « période transitoire » (qui devrait prendre fin en 2030) :
- une juridiction concurrente : les brevets européens peuvent faire l'objet de litiges devant les tribunaux nationaux et la JUB, sous réserve des règles de l'UE qui régissent les actions parallèles, notamment en termes de litispendance (par exemple, le règlement Bruxelles I bis) ;
- une possibilité d'opt-out : les titulaires de brevets qui ne souhaitent pas que leurs brevets soient soumis à la compétence de la JUB peuvent effectuer un opt-out et ainsi réserver les litiges (y compris les mesures d'exécution) aux juridictions nationales.
De nombreux titulaires de brevets ont fait usage de cette possibilité d’opt-out afin d'observer le fonctionnement de la JUB sans y participer avant d'éventuellement retirer leur opt-out, ce qui est autorisé à tout moment – sous conditions comme expliqué ci-dessous.
La possibilité de déroger à la compétence exclusive de la JUB (l’opt-out) est prévue par l'article 83, paragraphe 3, de l'Accord relatif à une Juridiction Unifiée du Brevet ("AJUB"), tandis que l'article 83, paragraphe 4, de l'AJUB précise que cette opt-out peut être retiré à tout moment, « à moins qu’une action n’ait déjà été engagée devant une juridiction nationale ». Cette disposition est essentielle et est parfois appelée «lock-out », précise qu’un breveté ne peut plus retirer son opt-out si lui-même ou un tiers a déjà engagé une procédure nationale concernant le brevet ayant fait l'objet de l’opt-out.
Le 20 octobre 2023, la division locale d'Helsinki avait jugé - dans l'affaire AIM Sport Vision AG c/ Supponor Oy et al. (UPC_CFI_204_2023) - que la règle de lock-out s'appliquait indépendamment de la date à laquelle l'action nationale avait été engagée. Dans cette affaire, le breveté a effectué un opt-out avant l'entrée en vigueur de la JUB (c'est-à-dire pendant la période « sunrise »), alors qu'une procédure nationale concernant le brevet était déjà en cours. La division locale d'Helsinki a jugé que cette procédure nationale empêchait le retrait de l’opt-out.
La Cour d’appel de la JUB a désormais réformé cette décision antérieure et décidé que la règle de lock-out ne s'applique que lorsque l'action nationale a été engagée pendant la période transitoire, c'est-à-dire après l'entrée en vigueur de la JUB le 1er juin 2023, et qu'elle ne s'applique pas lorsque l'action nationale a été engagée avant le 1er juin 2023. Il est rappelé aux lecteurs qu'étant donné que la JUB aura une compétence exclusive sur les brevets européens après la fin de la période transitoire, l'opt-out ne sera plus possible et aucune procédure nationale concernant ces brevets européens ne pourra dès lors être engagée.
L'un des aspects clés sur lesquels la Cour d’appel s'est appuyée est l'objectif de la règle de lock-out qui limite le retrait de l’opt-out. Contrairement à la théorie mise en avant par Supponor, selon laquelle cette règle viserait à limiter la possibilité de litiges parallèles et à réduire le risque inhérent d'interprétation divergente des revendications du brevet, la Cour d’appel estime que la raison d'être de cette règle est d’empêcher le titulaire du brevet de faire un usage abusif du système d’opt-out (par exemple, afin de l’empêcher de soumettre à nouveau son brevet à la juridiction de la JUB après avoir effectué un opt-out et qu'un tiers ait été obligé d'engager une, voire plusieurs, procédure(s) nationale(s) pour tenter de faire annuler le brevet).
En application de la nouvelle jurisprudence de la Cour d’appel, les titulaires de brevets ne sont plus exclus (locked-out) de la JUB et peuvent valablement retirer leur opt-out et engager une action devant la JUB même si le brevet fait ou a fait l'objet d'une action nationale engagée avant la période transitoire.
Devraient être en particulier concernés certains brevets de grande valeur ayant fait l'objet d'un opt-out, parfois appelés informellement les « joyaux de la couronne ». En effet, du fait de leur importance, bon nombre de ces brevets ont fait l’objet d’un opt-out afin de ne pas les exposer au risque d’une attaque centrale de nullité devant la JUB – du moins tant que le système n’avait pas été éprouvé –, et bien souvent font ou ont déjà fait l'objet de d’actions nationales en nullité ou en contrefaçon avant l'entrée en vigueur de la JUB.
Les titulaires de brevets qui pensaient, en application de la jurisprudence existante des divisions locales de la JUB, que leur brevet était exclu (locked-out) de la compétence de la JUB en raison d'un litige national engagé avant le 1er juin 2023 peuvent maintenant réévaluer leur stratégie en matière de litiges et envisager de retirer leur opt-out et d'engager des procédures devant la JUB.
Si l'on compare la rapidité actuelle des procédures devant la JUB (12 mois en moyenne pour l’obtention d’une décision de première instance) à celle de nombreuses juridictions nationales européennes, un breveté qui intente aujourd'hui une action devant la JUB peut encore, dans certains cas, espérer obtenir une décision au fond de la part de la JUB avant l'issue d'une action nationale qui aurait été intentée avant le 1er juin 2023.
Outre la rapidité de la procédure, le breveté pourrait également bénéficier des avantages de la JUB, en particulier :
- les juges hautement qualifiés de la JUB, spécialisés en matière de brevets et possédant des qualifications techniques ; et
- la couverture territoriale étendue de la JUB (une seule décision couvrant jusqu'à 18 États membres).
Les Quatre Points Important à Retenir